9 mai 1945 : Dunkerque libérée

À l’été 1944, tandis que la majeure partie de la France est progressivement libérée de l’occupation allemande, la région de Dunkerque devient le théâtre d’un siège long et méconnu. Alors que les forces allemandes battent en retraite partout ailleurs, elles se retranchent dans et autour de la ville portuaire, transformée en « forteresse » sur l’ordre d’Hitler. Cette enclave, bientôt appelée « poche de Dunkerque », résistera pendant près de huit mois, jusqu’à la capitulation du IIIe Reich en mai 1945.

L’encerclement de la forteresse

Début septembre 1944, les troupes canadiennes s’approchent de Dunkerque. Sur leur passage, les Allemands dynamitent ponts, routes et maisons, inondant les terrains environnants pour ralentir l’avance alliée. Le 4 septembre, les chantiers navals de France sont entièrement détruits. Les jours suivants, les villes de Hondschoote, Gravelines et Bourbourg sont libérées, tandis que les Canadiens atteignent les abords de Coudekerque, où ils butent sur les positions fortifiées du Fort Vallières.

À partir du 10 septembre, l’encerclement de la ville s’organise. Du 14 au 16 septembre, les unités canadiennes s’accrochent à leurs positions face à une défense allemande toujours plus renforcée. Le 17 septembre, la 5ème brigade canadienne s’empare de Mardyck, localité dont la libération marqua la fin des opérations des troupes canadiennes. Ce même jour, l’aviation alliée bombarde intensément le quartier général du commandant de la place, le vice-amiral Friedrich Frisius, à Malo-les-Bains, causant la mort de nombreux civils.

Mur de béton à Malo-les-bains

Une résistance acharnée, une guerre de position

Face à la solidité de la garnison allemande, les Alliés renoncent à une attaque frontale. Le siège s’installe. Les Forces françaises de l’intérieur (FFI) vont venir renforcer les troupes alliées, environ 1 200 volontaires de toutes origines, qui s’organisent en deux bataillons : le bataillon « Dunkerque », dirigé par le commandant Bienassis, et le bataillon « Jean Bart », dirigé par Édouard Dewulf. Ils combattent aux côtés des Canadiens et reçoivent des armes et équipements fournis par les Alliés.

Le front se stabilise sur une cinquantaine de kilomètres. À l’automne 1944, la stratégie alliée privilégiait le blocus à l’assaut, misant sur une reddition rapide. Une trêve en octobre permet l’évacuation de civils. 

L’évacuation des civils de la poche de Dunkerque et le rôle du chemin de fer

Le 14 septembre 1944, 30 000 civils cohabitent encore dans la poche de Dunkerque avec 12 000 soldats allemands. Si ces civils constituent pour ces derniers une forme de « bouclier humain », ils représentent également une charge pour les autorités allemandes, qui doivent déjà assurer le ravitaillement en eau et en vivres de leurs troupes.

Ainsi, lorsque la pression des Alliés s’intensifie et que les bombardements se multiplient, les Allemands contraignent la population à évacuer. Toutefois, les habitants rechignent à quitter leur logement et ne consentent à se réfugier qu’à proximité, comme les 1 850 Dunkerquois qui rejoignent Téteghem, une commune de la poche toujours exposée au feu allié.

Début octobre 1944, les Allemands acceptent une trêve afin de permettre l’évacuation des civils. Dix-huit mille habitants quittent alors les zones de combat les 4 et 5 octobre, grâce à l’intervention de la Croix-Rouge, des Canadiens qui mettent leurs véhicules à disposition.

Parmi l’ensemble des personnes évacuées, environ 8 000 furent transportées dans des trains sanitaires acheminés à la hâte pour permettre un transfert rapide. Il s’agissait notamment des malades et d’une partie des blessés qui furent ainsi dirigés vers Lille.

Seul un millier d’habitants reste enfermé dans la forteresse avec les Allemands. Ils seront placés dans des camps d’internement, en février 1945.

Civils et malades évacués par train sanitaire, octobre 1944

Dès le 3 octobre 1944, l’artillerie reçut l’ordre de suspendre ses tirs pendant la tenue des négociations en vue de régler l’évacuation de la population civile. Le calme régna de 7h00 à 13h45. Une trêve prit effet à 18h00, le 3 octobre, jusqu’à 6h00 le 6 octobre.

  • 36 heures de 6h00 le 4 octobre à 18h00 le 5 octobre pour le déplacement des civils avec une prolongation de 12 heures réparties au début et à la fin pour permettre au commandant allemand de nettoyer et de réparer le chemin utilisé pour l’évacuation et, après le passage des civils, de le rendre inutilisable et de le miner de nouveau.
  • Cessation des hostilités de 18h00 le 3 octobre à 6h00 le 6 octobre, période durant laquelle il ne sera pas apporté de changement dans le dispositif militaire et où il n’y aura aucun acte d’hostilité. Assurance était donnée qu’il n’y aurait aucune reconnaissance aérienne et aucune activité navale dans un périmètre déterminé.

Le récit de l’évacuation figure dans le même rapport :
« L’évacuation s’est déroulée selon le plan prévu. À 6 h 00, le 4 octobre, il pleuvait beaucoup et le déplacement des civils fut lent jusque dans l’après-midi. Le jour suivant cependant, le mouvement s’accéléra durant la journée et une prolongation de 4 heures fut décrétée pour compenser une interruption équivalente provoquée par l’effondrement temporaire d’un pont.
17 500 personnes furent évacuées, 500 habitants environ restant à Dunkerque. Parmi les évacués, il y en eut 150 transportés sur civières, dont des soldats allemands et canadiens blessés. Tout le personnel de l’hôpital et les ambulances civiles furent évacués. Un grand nombre de fermiers sortirent avec leur chariot et leur cheptel, et la plupart des évacués transportaient une masse considérable de bagages. Au total, 218 camions divers furent finalement mobilisés, parmi lesquels un certain nombre appartenant aux Affaires civiles et gardés en réserve pour décongestionner l’afflux. Environ 8 000 réfugiés furent dirigés par train vers Lille, le reste étant dispersé localement. Il n’y eut aucun incident fâcheux. Un homme âgé est décédé de mort naturelle et deux bébés sont nés durant l’évacuation.
Une rapide vérification de sécurité fut effectuée au poste de contrôle et des contrôles supplémentaires furent opérés par les FFI dans les trains et les camions. Le dispositif mis en place s’est avéré suffisant même si, dans les moments de grande affluence, il aurait fallu augmenter le nombre de camions à charger simultanément. »

Internement des civils et conditions de vie dans la poche

Dès le 3 janvier 1945, Frisius ordonne en effet l’internement des civils restés dans la forteresse. Le 18 février, 740 personnes sont réparties entre trois camps à Saint-Pol-sur-Mer, Malo-les-Bains et Coudekerque-Branche. 173 personnes âgées sont transférées à la maison de retraite des Petites Sœurs des Pauvres à Rosendaël. Tous les civils valides de plus de 14 ans sont soumis quant à eux au travail obligatoire.

L’hiver 1944-1945 est rude. Le siège tombe dans l’oubli des états-majors alliés. Dunkerque devient une ville-fantôme, figée dans la boue et le froid, ponctuée de duels d’artillerie et de brefs accrochages.

Le camp d’internement de Coudekerque (archives de l’ancien maire Claude Prouvoyeur)

L’ultime offensive allemande et la libération

Dunkerque constitue le dernier front actif sur le sol français. Depuis plusieurs mois, la ville est encerclée et assiégée par les forces alliées. Le vice-amiral allemand Friedrich Frisius, à la tête de la garnison, attend un ordre officiel de reddition venant de Berlin et refuse d’agir de sa propre initiative.

Le 5 mai, les Alliés intensifient leurs frappes : l’artillerie pilonne la forteresse allemande. Ce n’est que le 8 mai, jour de la capitulation officielle de l’Allemagne, que Frisius reçoit enfin l’ordre tant attendu. Le lendemain matin, il se rend au quartier général allié à Wormhout, où il signe la reddition de ses troupes.

La cérémonie a lieu à 9h20, en présence du général tchèque Aloïs Liška, du brigadier britannique Waller, du lieutenant-colonel français Lehagre et du capitaine de corvette Aclocque pour la Marine nationale. L’acte est signé en vingt minutes. Frisius retourne ensuite à Dunkerque pour organiser le désarmement de ses hommes et la neutralisation des nombreuses mines installées autour de la ville.

Le lendemain, le 10 mai, une cérémonie symbolique est organisée : les Alliés hissent les drapeaux tchèque et britannique au sommet du beffroi de Dunkerque. En réaction au refus d’y inclure le pavillon français, les représentants de l’armée française – Lehagre et Aclocque – choisissent de ne pas y participer. Aucun officier français n’assiste à la cérémonie.

En guise de réponse, la Marine nationale hisse le drapeau tricolore sur l’écluse Watier, dans le port. Ce n’est qu’à 16h que le drapeau français flotte enfin au sommet du beffroi, marquant ainsi la libération définitive de Dunkerque.

Le char de la brigade blindée tchécoslovaque pendant les combats libératoires de la ville de Dunkerque en avril 1945 (archives de l’ancien maire Claude Prouvoyeur)

Le camp de Coudekerque, libération du 9 mai 1945 (archives municipales de Dunkerque, 5 Z 21 188)

Les officiers fascistes sortant du poste de commandement après la signature de la capitulation (photographie issue d’un album sur l’évacuation de la poche de Dunkerque offert à Claude Prouvoyeur, ancien maire de Dunkerque)

Une reconstruction lente et douloureuse

Dunkerque est détruite à plus de 90 %. Dès la Libération, un long et fastidieux travail de déminage doit être opéré. Selon les autorités françaises, on dénombre plus de 200 000 mines à neutraliser dans la poche.

Dans la ville dévastée mais libérée, on rencontre alors essentiellement des militaires, anglais notamment, des agents de police français et surtout des prisonniers allemands employés aux travaux de déblaiement et de déminage. Entre le 12 mai et le 8 juin 1945, 78 000 mines sont neutralisées par le service dirigé par André Vandenabeele. Ces opérations à haut risque coûtent la vie à de nombreux hommes.

Le déminage se poursuit jusqu’au 1er janvier 1948.  Une équipe de sécurité est ensuite chargée d’assurer l’enlèvement et la destruction des engins explosifs qui restent.  Aujourd’hui encore, on en retrouve lors de travaux de terrassement ou bien surgissant du sable des plages dunkerquoises…

Une réalité à mettre en parallèle avec d’autres lieux touchés par les combats ou bombardements comme récemment à la Plaine St Denis.

Le centre ville de Dunkerque en 1946 (archives de l’ancien maire Claude Prouvoyeur)

Le port de Dunkerque détruit (archives de l’ancien maire Claude Prouvoyeur)

Les quais du port dynamités par l’occupant, avec en premier plan les wagons détruits (Archives municipales de Dunkerque 5 Z 21 70)