Le Débarquement de Normandie 1944-2024

SARDO - Fonds La Vie du Rail

Le choix des Alliés pour la Normandie remonte à la fin de l’année 1943. Avec ses plages plates et son port de Cherbourg, la région fut considérée comme la zone de débarquement la mieux adaptée pour libérer l’Europe de l’Occupation allemande. L’opération nommée « Overlord », allait alors transformer le paysage normand en un champ de bataille décisif pour le sort de la Seconde Guerre mondiale.

Le rôle du chemin de fer s’avèrera crucial, bien que son utilité ne soit pas immédiatement évidente. En effet, une fois la percée réalisée, seul le réseau ferroviaire fut capable de suivre et de ravitailler le front en hommes et en matériel.

La préparation

Au printemps 1944, les Alliés accélèrent la préparation des débarquements. Pour accroitre les chances de réussite de l’opération, le recourt à l’aviation est indispensable afin de ralentir l’arrivée des renforts allemands sur le front. L’objectif est de désorganiser les moyens de communication en bombardant les ponts, les gares et les centres des villes.

Sir Arthur W. Tedder, Commandant suprême adjoint aux côtés d’Eisenhower, est chargé de coordonner l’ensemble des forces aériennes stationnées en Europe. Le but est d’établir un plan d’ensemble de destructions afin de laisser les Allemands dans l’incertitude sur le lieu du Débarquement. L’offensive contre le réseau ferré est amorcée le 6 mars 1944 par un raid massif lancé contre les installations de Trappes, suivis les 6-7 et 13-14 mars par deux autres sur celles du Mans. Dès le 18 avril, des vagues de bombardiers franchissent la Manche chaque jour. C’est la région du Nord qui est la plus touchée. En Normandie, seul le triage de Sotteville est détruit (1.538 tonnes de bombes sont déversées dans la nuit du 18 au 19 avril, triste record).

Une dizaine de jours avant le Débarquement en Normandie, les 25, 26 et 27 mai, les villes du Sud-Est et du Centre-Est de la France sont bombardées : Carnoules le 25 mai, Chambéry, Grenoble, Lyon, Nice, Saint-Etienne, et Saint-Laurent-du-Var le 26 mai, Avignon, Forcalquier, Nîmes, Marseille et Montpellier le 27 mai. Les bombardiers visaient soit les infrastructures ferroviaires pour empêcher l’armée allemande d’acheminer des troupes et du matériel vers l’ouest de la France et la Normandie soit les installations portuaires et les aérodromes.

La priorité des Alliés est de constituer un parc commun de locomotives et de wagons pour pallier les éventuelles pénuries sur le continent, lors du Débarquement.

  • Ils décident de standardiser la production en se limitant à des locomotives type 140 à deux cylindres et des fourgons de 20 tonnes à deux essieux pour les wagons.
  • Grâce au report de l’opération au printemps 1944, d’autres matériels sont ajoutés, tels que les locomotives type 150 pour les trains lourds, les locomotives type 030T pour les manœuvres, ainsi que de petits diesels électriques.

La majorité des commandes est passée à l’industrie américaine, avec des instructions strictes pour respecter les spécificités des réseaux européens en matière de gabarit et de charge à l’essieu. Les pièces sont livrées en kit pour être assemblées sur place. Les livraisons commencent dès la fin de l’année 1942, et le montage s’effectue sur plusieurs sites du territoire britannique. Une fois assemblés, ces matériels sont soit stockés sur des voies de garage, soit confiés aux chemins de fer britanniques, avec l’obligation de les restituer sur demande. En mai 1944, l’industrie américaine a ainsi livré 396 locomotives type 140 et plus de 20.000 wagons

  • Pour franchir la Manche, des ferry-boats sont utilisés avec grues portiques pour pallier l’absence de terminaux spécialisés, de même que des liberty-ships qui sont des cargos aménagés de façon à pouvoir transporter l’équivalent de 4 locomotives. Enfin, une quinzaine de Landing ship tank (LST) à déchargement frontal avec rampes permettant des débarquements à même les plages est également employée

« …Blessent mon cœur d’une langueur monotone »

Message de Radio Londres, le 5 juin. Au même moment la flotte quitte l’Angleterre et le Débarquement est maintenant une question d’heures.

La première phase du Débarquement arrive du ciel… Il est minuit et les premiers éléments d’éclaireurs des 82ème et 101ème divisions aéroportées US atterrissent dans la campagne normande, entre Valognes et Carentan. Ils ont pour mission le balisage des zones de saut pour le gros des troupes parachutistes.

Dans le même temps mais à une cinquantaine de kilomètres à l’est, six planeurs britanniques de type Horsa se posent en silence à proximité du canal de Caen. Ils transportent les parachutistes de la 6ème division britannique sous les ordres du major Howard. Ils vont s’emparer par surprise du pont de Bénouville, rebaptisé Pegasus Bridge, qu’ils traverseront au son de la cornemuse et tiendront l’ouvrage pendant 12 heures, sans renfort. Vers 1 heure, le ciel du Cotentin se pare de milliers de corolles de parachutes qui s’ouvrent, vague après vague dans une nuit d’encre. Le vent disperse des paras américains et les pertes accidentelles seront nombreuses. Une fois au sol, l’on se regroupe, tant bien que mal, à la recherche des objectifs. Les premiers combats sérieux éclatent dans la nuit à Ranville, à la batterie de Merville et à Sainte-Mère-Église. Vers 4 heures, un bataillon du 505ème régiment de parachutiste US y fait flotter le drapeau américain marquant le premier village français libéré. La ville de Caen, s’éveille au son des canons de la Flak (DCA allemande), suivis des premières explosions. La Royal Air Force débute les opérations de bombardements qui se poursuivront toute la journée.

Les premières vagues d’assaut déferlent sur les plages normandes, le 6 juin, entre 6H30 et 8H00, les Américains à Omaha et Utah, les Anglais à Gold et Sword, les Canadiens à Juno. Avec le Débarquement, le Plan vert est mis en application : il consiste à paralyser le transport ferroviaire afin d’entraver l’ennemi dans ses déplacements. L’infrastructure ferroviaire est alors une cible prioritaire de la Résistance. Dans les heures qui suivent la ligne de Paris à Cherbourg est coupée en plusieurs endroits. Les bombardements aériens et navals sont systématiques sur les principaux carrefours routiers pour empêcher l’arrivée des renforts allemands sur les plages. Ils vont se poursuivre et s’intensifier par la suite sur les points stratégiques normands et les villes principales.

L’exaltation laisse vite place à l’incompréhension suite aux bombardements massifs.

Pour retarder l’arrivée des renforts allemands au lendemain du débarquement de Normandie, les forces armées de la Résistance ont mis en oeuvre les plans de sabotage des moyens de communication :

  • Plan vert pour les voies ferrées
  • Plan violet pour les lignes téléphoniques
  • Plan bleu pour les installations électrique

Le Plan vert mobilise à travers toute la France des milliers d’hommes dont des cheminots, parés à intervenir dès la diffusion par la BBC des messages d’action. Une répétition générale à faible échelle réalisée en décembre 1943, dans le Midi montre des lacunes de structure témoignant qu’il ne faut pas se reposer uniquement sur le Plan vert.

L’exemple de Vire et de ses alentours

Bien que distante d’environ 60 kilomètres des plages, dès l’aube du 6 juin 1944, le bruit sourd de la canonnade se fait entendre dans la ville de Vire. Vers 20 heures, la 8ème US Air Force, déclenche une première vague de bombardements. Elle sera suivie d’une seconde vague menée par les bombardiers britanniques de la Royal Air Force vers 2 heures du matin.

La ville va brûler pendant deux semaines et sera détruite à presque 85 %. Le centre sera presque rasé : tribunal, église Saint-Thomas, la gare, etc. La préfecture sera épargnée, mais la mairie, la bibliothèque et le musée ont brûlé, la poste, l’église, le collège, le théâtre sont très gravement endommagés… Les habitants de Vire ont payé un lourd tribut avec quatre cents tués. Ainsi, sur les 1.450 maisons d’habitation que comptait la commune, 1.200 furent totalement détruites et 50 très endommagées. Seules 200 maisons abîmées seront finalement réparables.

Vire fortement détruite après les bombardements du 6 juin 1944. Fonds SARDO - La Vie du Rail.

Vire dévastée après les bombardements du 6 juin 1944. Fonds SARDO – La Vie du Rail.

Aux alentours de la ville, les villages de Roullours, Coulonces, Truttemer et La Graverie subiront des destructions importantes. Du « jour le plus long » à la fin de la bataille de Normandie dont les combats meurtriers ont duré plus de 2 mois, du 6 juin au 19 août 1944, d’autres communes dont les noms restent dans l’histoire vont subir les mêmes souffrances et sacrifices. En quelques jours, Caen, Saint-Lô, Lisieux, Pont-l’Evêque, Falaise, Avranches, Valognes, Alençon, Argentan, Cherbourg ou Flers ne sont plus que des ruines et l’ensemble du réseau ferroviaire, des voies de communications, des installations portuaires ou aérodromes, cibles stratégiques par excellence, sera très fortement endommagé.

Le bâtiment voyageur de la gare de Saint-Lô et la ville après les bombardements du 6 juin 1944. Fonds SARDO - La Vie du Rail (photographie USIS, services américains d’information).

Le bâtiment voyageur de la gare de Saint-Lô et la halle marchandises après les bombardements du 6 juin 1944. Fonds SARDO - La Vie du Rail (photographie US Signal Corps).

Bombardement de la voie ferrée aux abords de la gare d’Alençon en juin 1944. Fonds SARDO - La Vie du Rail (photographie USIS, services américains d’information)

Bombardement des installations de la gare d’Alençon en juin 1944. Fonds SARDO - La Vie du Rail.

Cherbourg, un élément clé pour les Alliés

Pour les Alliés, Cherbourg est un objectif stratégique essentiel à la réussite du plan Overlord. Le port de Cherbourg devient la tête de ligne car il est capable de réceptionner les bateaux de gros tonnage. Il devra dès que possible pouvoir accueillir les navires arrivant directement des Etats-Unis, chargés d’hommes et d’armes nécessaires à la reconquête de l’Europe.

La première offensive américaine à partir de la plage d’Utah Beach a cet objectif de reprendre Cherbourg mais elle est bloquée par une défense allemande acharnée. Encerclé et sommé de se rendre, le commandant de la place, le général von Schlieben, refuse et donne l’ordre de détruire les installations portuaires. A la libération de la ville le 27 juin 1944, le port est fortement détruit. Les bassins sont remplis de mines et d’épaves de bateaux sabordés. La gare maritime de Cherbourg située sur le port n’est plus qu’un amas de ruines, les rails arrachés, les grues renversées, les quais truffés de pièges, le pont tournant saboté.

Face à l’immense tache, des équipes de spécialistes se mettent aussitôt à l’ouvrage et dès la fin juillet, le port peut accueillir les premiers Liberty ship en provenance des Etats-Unis.

La sortie de gare de Cherbourg en direction de Caen. Fonds SARDO - La Vie du Rail.

Vue d’ensemble de la gare maritime de Cherbourg. Fonds SARDO - La Vie du Rail.

Le bâtiment principal de la gare maritime de Cherbourg en juin 1944. Un bateau retourné et coulé est visible sur la droite

L’entrée du dépôt de Cherbourg en juin 1944

Le dépôt de Cherbourg après le bombardement

Le bâtiment principal de la gare maritime de Cherbourg en juin 1944

Le quai de chargement et de déchargement de la gare maritime de Cherbourg en juin 1944

La destruction du Havre, écrasée sous 12.000 tonnes de bombes marquera la fin des opérations pour la Normandie. Au total près de 20.000 civils normands périssent dans les combats, surtout lors de bombardements, et 300.000 autres sont sinistrés. Mais les destructions et les victimes liées au Débarquement, aux bombardements intenses et aux combats de la Libération se comptent aussi à travers les autres régions françaises, les pays de la Loire (Nantes, Tours), la côte de Bretagne (Brest, Lorient, Saint-Nazaire), le littoral Atlantique avec notamment Royan, le nord de la France (Lille, Douai, Amiens, Dunkerque), les régions de l’Est…

Tous ces sacrifices aboutiront à la libération totale du pays après cinq années de terreur, d’horreur et de privations au quotidien et à la mise en place des grands chantiers de la reconstruction. On estime qu’entre mars et août 1944, 30 à 40% des bombardements ont eu pour mission de casser les forces vives de l’outil ferroviaire. Le chemin de fer, à la fois victime et acteur, a tenu le rôle qu’on lui avait assigné.

Affiche A. Brenet