6 juin 1944 : le Débarquement de Normandie

SARDO - Fonds La Vie du Rail

Le choix des Alliés de débarquer en Normandie remonte à la fin de l’année 1943. Avec ses plages propices aux assauts amphibies et la présence du port en eaux profondes de Cherbourg, la région est jugée comme la zone la plus favorable pour lancer la libération de l’Europe occupée.

L’opération, baptisée « Overlord », allait transformer à jamais le paysage normand, devenu le théâtre d’un affrontement décisif pour l’issue de la Seconde Guerre mondiale.

Parmi les éléments souvent méconnus mais essentiels de cette stratégie, le réseau ferroviaire jouera un rôle crucial. S’il ne semble pas immédiatement déterminant lors des premières phases du Débarquement, il deviendra indispensable une fois la percée effectuée. Seul le train permettra alors d’acheminer rapidement les troupes et le matériel jusqu’au front, soutenant l’avancée alliée à travers la France.

La préparation du Débarquement

Au printemps 1944, les Alliés intensifient les préparatifs en vue des futurs débarquements en Europe occidentale. Pour maximiser les chances de succès de l’opération, le recours à l’aviation est jugé essentiel : il s’agit de ralentir l’arrivée des renforts allemands en désorganisant leurs lignes de communication, principalement par des bombardements ciblés sur les ponts, les gares et les centres urbains stratégiques.

Sir Arthur W. Tedder, commandant suprême adjoint auprès du général Eisenhower, reçoit la mission de coordonner l’ensemble des forces aériennes alliées stationnées en Europe. Son objectif : établir un vaste plan de bombardements destiné à semer la confusion dans les rangs allemands quant au lieu et à la date du Débarquement.

L’offensive aérienne contre le réseau ferroviaire débute le 6 mars 1944 avec un raid massif sur les installations de Trappes, suivi de nouvelles frappes les 6-7 et 13-14 mars sur la ville du Mans. À partir du 18 avril, des vagues de bombardiers traversent quotidiennement la Manche. La région Nord de la France est particulièrement touchée. En Normandie, seul le triage ferroviaire de Sotteville-lès-Rouen est gravement endommagé : dans la nuit du 18 au 19 avril, 1 538 tonnes de bombes y sont larguées, un triste record.

À une dizaine de jours du Débarquement en Normandie, les 25, 26 et 27 mai 1944, une série de bombardements vise les villes du Sud-Est et du Centre-Est de la France. Carnoules est frappée le 25 mai ; le lendemain, Chambéry, Grenoble, Lyon, Nice, Saint-Étienne et Saint-Laurent-du-Var subissent à leur tour des attaques ; le 27 mai, c’est au tour d’Avignon, Forcalquier, Nîmes, Marseille et Montpellier. Les objectifs sont clairement militaires : il s’agit soit de neutraliser les infrastructures ferroviaires pour empêcher l’acheminement des troupes et du matériel allemands vers l’Ouest, soit de détruire les ports et les aérodromes susceptibles d’être utilisés par l’ennemi.

La priorité des Alliés est de constituer un parc commun de locomotives et de wagons pour pallier les éventuelles pénuries sur le continent, lors du Débarquement.

  • Ils décident de standardiser la production en se limitant à des locomotives type 140 à deux cylindres et des fourgons de 20 tonnes à deux essieux pour les wagons.
  • Grâce au report de l’opération au printemps 1944, d’autres matériels sont ajoutés, tels que les locomotives type 150 pour les trains lourds, les locomotives type 030T pour les manœuvres, ainsi que de petits diesels électriques.

La majorité des commandes est passée à l’industrie américaine, avec des instructions strictes pour respecter les spécificités des réseaux européens en matière de gabarit et de charge à l’essieu. Les pièces sont livrées en kit pour être assemblées sur place. Les livraisons commencent dès la fin de l’année 1942, et le montage s’effectue sur plusieurs sites du territoire britannique. Une fois assemblés, ces matériels sont soit stockés sur des voies de garage, soit confiés aux chemins de fer britanniques, avec l’obligation de les restituer sur demande. En mai 1944, l’industrie américaine a ainsi livré 396 locomotives type 140 et plus de 20.000 wagons

  • Pour franchir la Manche, des ferry-boats sont utilisés avec grues portiques pour pallier l’absence de terminaux spécialisés, de même que des liberty-ships qui sont des cargos aménagés de façon à pouvoir transporter l’équivalent de 4 locomotives. Enfin, une quinzaine de Landing ship tank (LST) à déchargement frontal avec rampes permettant des débarquements à même les plages est également employée

« …Blessent mon cœur d’une langueur monotone »

Le 5 juin 1944, à Londres, la BBC diffuse un message codé sur les ondes : « …Blessent mon cœur d’une langueur monotone ». Ce vers de Paul Verlaine, transmis par Radio Londres, déclenche la phase finale du plan allié. À cet instant, la flotte quitte les côtes britanniques : le Débarquement est désormais une question d’heures.

Minuit : le ciel s’ouvre, la bataille commence

La première phase de l’opération Neptune débute dans les airs. Peu après minuit, les éclaireurs des 82e et 101e divisions aéroportées américaines sautent dans la campagne normande, entre Valognes et Carentan. Leur mission : baliser les zones de saut pour les milliers de parachutistes qui les suivront.

Pendant ce temps, à une cinquantaine de kilomètres à l’est, six planeurs britanniques Horsa atterrissent dans le silence, près du canal de Caen. Ils transportent les troupes de la 6e division aéroportée britannique, commandées par le major John Howard. Leur objectif : s’emparer du pont de Bénouville, bientôt rebaptisé Pegasus Bridge. L’opération est un succès. Les Britanniques traversent le pont au son de la cornemuse, et le tiennent pendant douze heures, sans aucun renfort.

Une nuit de feu et de confusion

Aux alentours de 1h du matin, le ciel du Cotentin se couvre de milliers de parachutes. Vague après vague, les troupes américaines sont larguées dans une nuit noire. Le vent disperse les unités, provoquant confusion et pertes accidentelles. Une fois au sol, les paras tentent de se regrouper dans le chaos pour atteindre leurs objectifs.

Les premiers affrontements sérieux éclatent rapidement : à Ranville, à la batterie de Merville, et à Sainte-Mère-Église, où un bataillon du 505e régiment parachutiste américain hisse le drapeau étoilé au sommet de la mairie. Il s’agit du premier village libéré de France.

Les plages de Normandie sous le feu

Vers 4 heures, la ville de Caen s’éveille au son des canons de la Flak (défense antiaérienne allemande). Peu après, les premières explosions retentissent. La Royal Air Force lance une série de bombardements qui se poursuivront toute la journée.

À l’aube du 6 juin, entre 6h30 et 8h00, les premières vagues d’assaut alliées déferlent sur les plages de Normandie :

  • Omaha et Utah pour les Américains,

  • Gold et Sword pour les Britanniques,

  • Juno pour les Canadiens.

Sabotages, bombardements, paralysie

En parallèle, le Plan Vert est activé : un vaste programme de sabotage du réseau ferroviaire, coordonné avec la Résistance intérieure. Objectif : paralyser les transports allemands. Dès les premières heures du jour, la ligne Paris-Cherbourg est coupée en plusieurs points.

Les bombardements aériens et navals s’abattent sur les principaux carrefours routiers pour empêcher l’arrivée des renforts ennemis sur les plages. Ces frappes se poursuivent dans les jours suivants, ciblant les nœuds stratégiques de Normandie et les grandes villes.

L’enthousiasme freiné par la douleur

Si l’exaltation est d’abord palpable, elle laisse rapidement place à la stupeur : les bombardements massifs sur les villes normandes, parfois meurtriers pour les civils, provoquent incompréhension et douleur. La libération commence, mais à un prix terrible.

Pour retarder l’arrivée des renforts allemands au lendemain du débarquement de Normandie, les forces armées de la Résistance ont mis en oeuvre les plans de sabotage des moyens de communication :

  • Plan vert pour les voies ferrées
  • Plan violet pour les lignes téléphoniques
  • Plan bleu pour les installations électrique

Le Plan vert mobilise à travers toute la France des milliers d’hommes dont des cheminots, parés à intervenir dès la diffusion par la BBC des messages d’action. Une répétition générale à faible échelle réalisée en décembre 1943, dans le Midi montre des lacunes de structure témoignant qu’il ne faut pas se reposer uniquement sur le Plan vert.

Des villages détruits, une région en ruines

Aux abords de Vire, les villages de Roullours, Coulonces, Truttemer et La Graverie subissent d’importantes destructions dans les jours qui suivent le Débarquement.

Du 6 juin au 19 août 1944, la bataille de Normandie plonge toute la région dans une violence inouïe. Pendant plus de deux mois de combats acharnés, de nombreuses communes normandes endurent les mêmes souffrances et sacrifices. Leurs noms restent à jamais gravés dans l’histoire.

En quelques jours, Caen, Saint-Lô, Lisieux, Pont-l’Évêque, Falaise, Avranches, Valognes, Alençon, Argentan, Cherbourg ou Flers ne sont plus que des amas de ruines.

Les voies de communication, infrastructures ferroviaires, installations portuaires et aérodromes — toutes considérées comme des objectifs stratégiques — sont visés sans relâche par les bombardements aériens et navals. À la fin de l’été 1944, une grande partie de la Normandie est à reconstruire.

Le bâtiment voyageur de la gare de Saint-Lô et la ville après les bombardements du 6 juin 1944. Fonds SARDO - La Vie du Rail (photographie USIS, services américains d’information).

Le bâtiment voyageur de la gare de Saint-Lô et la halle marchandises après les bombardements du 6 juin 1944. Fonds SARDO - La Vie du Rail (photographie US Signal Corps).

Bombardement de la voie ferrée aux abords de la gare d’Alençon en juin 1944. Fonds SARDO - La Vie du Rail (photographie USIS, services américains d’information)

Bombardement des installations de la gare d’Alençon en juin 1944. Fonds SARDO - La Vie du Rail.

Cherbourg : un port clé pour la réussite du Débarquement

Pour les Alliés, Cherbourg représente un objectif stratégique majeur dans le cadre du plan Overlord. Grâce à son port en eaux profondes, capable d’accueillir des navires de gros tonnage, la ville doit devenir la tête de ligne logistique de la reconquête de l’Europe. L’objectif est clair : permettre, dès que possible, le débarquement direct depuis les États-Unis de troupes, de matériel et de munitions indispensables à l’avancée alliée.

La première offensive américaine lancée depuis Utah Beach vise précisément à s’emparer de Cherbourg. Mais les troupes se heurtent à une résistance allemande farouche, ralentissant leur progression. Encerclé et sommé de se rendre, le général Karl-Wilhelm von Schlieben, commandant de la garnison allemande, refuse de capituler et ordonne la destruction systématique des installations portuaires.

Lorsque la ville est libérée le 27 juin 1944, le port est en grande partie inutilisable : les bassins sont minés et encombrés d’épaves sabordées, la gare maritime est réduite à l’état de ruines, les rails arrachés, les grues renversées, les quais piégés et le pont tournant saboté.

Face à l’ampleur des dégâts, des équipes de spécialistes alliés se mobilisent immédiatement. Grâce à leurs efforts acharnés, dès la fin juillet, le port de Cherbourg est de nouveau opérationnel et peut accueillir les premiers Liberty Ships en provenance directe des États-Unis.

La sortie de gare de Cherbourg en direction de Caen. Fonds SARDO - La Vie du Rail.

Vue d’ensemble de la gare maritime de Cherbourg. Fonds SARDO - La Vie du Rail.

Le bâtiment principal de la gare maritime de Cherbourg en juin 1944. Un bateau retourné et coulé est visible sur la droite

L’entrée du dépôt de Cherbourg en juin 1944

Le dépôt de Cherbourg après le bombardement

Le bâtiment principal de la gare maritime de Cherbourg en juin 1944

Le quai de chargement et de déchargement de la gare maritime de Cherbourg en juin 1944

Destruction et sacrifice : le prix de la Libération

La destruction du Havre, anéantie sous 12 000 tonnes de bombes, marque la fin des grandes opérations militaires en Normandie. À elle seule, cette ville symbolise l’ampleur des dégâts subis par la région.

Au total, près de 20 000 civils normands perdent la vie, principalement lors des bombardements alliés, et plus de 300 000 personnes se retrouvent sinistrées. Mais ces pertes humaines et matérielles ne se limitent pas à la Normandie. Elles frappent également d’autres régions françaises, touchées par les combats et les offensives stratégiques :

  • Les Pays de la Loire (Nantes, Tours),

  • La côte bretonne (Brest, Lorient, Saint-Nazaire),

  • Le littoral atlantique (notamment Royan),

  • Le nord de la France (Lille, Douai, Amiens, Dunkerque),

  • Les régions de l’Est, également visées par les bombardements.

Ces sacrifices immenses, subis par les populations civiles, aboutiront à la libération totale de la France après cinq années de terreur, de souffrances et de privations. Ils ouvriront aussi la voie à une nouvelle ère : celle des grands chantiers de la reconstruction nationale.

Entre mars et août 1944, on estime que 30 à 40 % des bombardements alliés avaient pour objectif de désorganiser l’outil ferroviaire français, pilier logistique de l’armée allemande. Dans cette guerre de mouvement, le chemin de fer fut à la fois victime et acteur, mais il a rempli pleinement le rôle stratégique que les Alliés lui avaient assigné.

Affiche A. Brenet