La voiture-restaurant 2419 D, d’un Armistice à l’autre

Fonds La Vie du Rail

En 1918 et 1940, deux Armistices marquant la fin des combats furent signés au même endroit, dans une clairière reculée de la forêt de Compiègne, au cœur de l’Oise. Ce choix d’un wagon de chemin de fer pour abriter les négociations, bien que surprenant, revêt une signification historique puissante et symbolique.

Pourquoi les dirigeants de deux époques différentes, dans des contextes aussi opposés, choisirent-ils ce lieu pour formaliser la fin des hostilités ? Retour sur ces moments marquants de l’histoire mondiale, où une simple voiture de la Compagnie des Wagons-Lits devint tour à tour le témoin d’une victoire alliée puis d’une humiliante capitulation française, révélant des circonstances et des symboles profondément distincts.

La naissance de la voiture-restaurant 2419 D

Tout débute en 1913. La Compagnie internationale des wagons-lits (CIWL) commande des voitures-restaurants pour ses trains. Fabriquées par la Compagnie générale de Construction dans ses ateliers de Saint-Denis, ces voitures en bois de teck verni sur un châssis d’acier sont livrées en mai 1914. La voiture 2419 D, avec ses boiseries intérieures en acajou, fait partie du lot et transporte des passagers sur les liaisons Paris-Laval et Paris-Saint Brieuc, avant d’être remisée à Clichy à cause des restrictions dues au conflit. En septembre 1918, à la demande des autorités militaires, la Compagnie internationale des Wagons-Lits modifie la voiture-restaurant 2419 D en bureau-salon.

La voiture sort des Ateliers de Saint-Denis (fonds La Vie du Rail)

Nettoyage de la voiture aux Ateliers de Saint-Denis (fonds La Vie du Rail)

Intérieur de la voiture (fonds La Vie du Rail)

La voiture 2419 D sort d’usine en 1914 et sera affectée le 20 mai 1914 aux liaisons Paris-Laval et Paris-Saint Brieuc.  Elle est autorisée à circuler le 4 juin de la même année et assurera ses premiers roulements, incorporée dans la composition des trains numéros 505-514 et 595-518.

Constructeur : Compagnie générale de Construction de Saint-Denis

Destination à l’origine : Réseau de l’État

Nombre de places : 24 places en 1ère classe et 18 places en 2nde classe,

Tare : 43,340 tonnes

Dimensions :

  • Longueur du châssis 18,800 m
  • Longueur hors tampons 20,300 m
  • Largeur totale 2,918 m
  • Hauteur totale 4,025 m

Caisse : panneautage extérieur en teck et intérieur en bois verni. Toiture droite avec lanterneau blanc

Châssis : métallique

Bogies : type U « Wagons-Lits »

Freins : à air standard et à vis

Éclairage : électrique système Dick

Chauffage : par thermosiphon

Aménagements intérieurs 

En version voiture-restaurant :

  • une cuisine complète avec fourneaux, évier, armoire à vins, lave verres, office
  • une salle à manger de 2ème classe d’une capacité de 16 places
  • une salle à manger de 1ère classe pouvant accueillir 24 convives.

En version voiture-bureau :

  • l’ex-cuisine fait place à un secrétariat avec une table de 4,00 m x 0,60 et de 2,00 m x 0,600 en L pour 5 dactylos ainsi que des casiers de rangement.
  • un premier bureau équipé de deux tables latérales de 1,50 x 0,65 m et 5 sièges
  • une salle de réunion avec une table centrale de 2,50 x 1,50 m et dans la suite un bureau comportant deux tables latérales de 3,00 x 0,65 et 4 sièges.

La voiture n’est pas équipée de WC Toilettes.

Lien vers le diagramme de la voiture

L’Armistice de 1918

Le 9 novembre 1918, alors que l’issue de la guerre paraît imminente, l’empereur allemand Guillaume II abdique, précipitant la décision de négocier la fin des hostilités. Dans un souci de dignité et pour épargner à la délégation allemande toute humiliation, le maréchal Foch, commandant en chef des armées alliées, choisit un lieu discret et symbolique pour la signature : une clairière isolée, sobre, dans les profondeurs de la forêt de Compiègne. La voiture 2419 D rejoint donc le convoi transportant les plénipotentiaires alliés jusqu’à Rethondes.

C’est ici, à l’abri des regards, dans une atmosphère tendue, que les représentants allemands et alliés scellent le destin de la « Grande Guerre », le 11 novembre 1918. Le maréchal Foch est accompagné du général Weygand, major général des armées alliées, de trois officiers de l’état-major et de l’amiral Wemyss, premier Lord de l’Amirauté qui représente la Marine anglaise. Côté allemand, Matthias Erzberger, représentant du gouvernement allemand, est accompagné du général Winterfeldt et du comte von Oberndorff, représentant le ministère des Affaires étrangères allemand. Le capitaine de vaisseau Vanselow représente quant à lui la Marine allemande. Deux interprètes assurent la traduction des échanges. Après des pourparlers nocturnes commencés à 2 heures du matin, l’Armistice est officiellement signé entre 5h12 et 5h20. Aussitôt, un télégramme est envoyé au maréchal Joffre, confirmant la cessation des combats à 11 heures.

Le pays fête la victoire, d’autres pleurent leurs morts ou leurs disparus. Le bilan de la guerre pour la France est tragique : environ 1,4 million de soldats français ont perdu la vie, et 300 000 autres, mutilés, porteront les séquelles de leurs blessures toute leur existence. Environ 2 millions d’anciens combattants souffriront d’invalidités physiques ou psychologiques durables, témoins silencieux de la brutalité des combats et du lourd tribut payé par la nation.

Le maréchal Foch à sa table de travail à l'intérieur du wagon-salon (fonds La Vie du Rail)

Voiture de l'Armistice (fonds La Vie du Rail)

Au carrefour de Rethondes devant le wagon où se fit la capitulation allemande

Le maréchal Foch monte dans le train spécial (fonds La Vie du Rail)

Train de l'Armistice (fonds La Vie du Rail)

Plaque commémorative (fonds La Vie du Rail)

En septembre 1919, la voiture est démobilisée et restituée à la Compagnie internationale des Wagons-Lits qui la réaménage en wagon-restaurant avec une simple plaque apposée à l’intérieur qui rappelle son destin historique. Brièvement réaffectée à sa mission d’origine – le voyage pour les particuliers – la voiture a désormais tout du symbole.

Après avoir été sollicitée par le gouvernement dirigé par Clemenceau, la Compagnie internationale des Wagons-Lits en fait don à l’État. Le 1er octobre 1919, une convention est signée dans ce sens. Le président de la République, Alexandre Millerand, l’incorpore dans la composition de son train spécial lorsqu’il se rend à Verdun, le 8 décembre 1920, deux ans après la fin du conflit. 

Commémorations et prémices d’un lieu de souvenir en forêt de Compiègne

En 1920, la France s’apprête à célébrer deux événements majeurs : le deuxième anniversaire de l’Armistice et le cinquantenaire de la Troisième République, avec des festivités organisées notamment au Panthéon. À cette occasion, il est décidé d’exposer le wagon aux Invalides, à Paris. Le transfert du wagon s’effectue par remorque routière pour son entrée dans la cour d’honneur des Invalides. Cependant, le passage sous le porche nord, encadré par les statues de Mars et Minerve, s’avère difficile : la hauteur du wagon sur la remorque ne permet pas de franchir le portail. Des ajustements sont alors nécessaires, et l’on procède à des entailles dans les pierres du portail pour permettre son passage.

Installée dans l’angle nord-est de la cour d’honneur de l’Hôtel des Invalides, la voiture y reste exposée à ciel ouvert du 28 avril 1921 au 8 avril 1927, sans protection. Le wagon subit les intempéries et commence à se détériorer, sans que des mesures d’entretien ne soient mises en place. La Compagnie Internationale des Wagons-Lits, propriétaire du wagon, s’inquiète de l’image dégradée de ce symbole et entame une correspondance avec la direction des musées des Invalides. Cet échange, qui porte principalement sur les besoins de financement pour la restauration du wagon, reste sans solution, et la voiture continue de se détériorer. Dès 1924, le général Mariaux, directeur du musée de l’Armée, alerte le ministère de la Guerre sur l’état préoccupant du wagon et propose son transfert vers un abri à Rethondes ou au château de Vincennes. En 1925, la presse se saisit du sujet, dénonçant l’état du wagon, devenu un triste symbole en déclin. De son côté, Robert Fournier-Sarlovèze, député-maire de Compiègne, dont la clairière de Rethondes fait partie de la commune, envisage la création d’un musée pour mettre en valeur ce lieu historique. Il fait défricher le site et propose des plans de bâtiments pour abriter le wagon, multipliant les démarches afin d’obtenir le retour du wagon à Compiègne. En 1927, l’américain Arthur Henry Fleming, en visite à Compiègne, rencontre le maire, qui lui présente son projet encore inabouti. Fleming, touché par cette initiative, accepte son financement, permettant enfin de restaurer le wagon et de le préparer pour son retour à Compiègne.

La voiture arrive aux Invalides (fonds La Vie du Rail)

La voiture franchit le portail d'honneur des Invalides (fonds La Vie du Rail)

La voiture est exposée dans la cour des Invalides (fonds La Vie du Rail)

Le wagon quitte les Invalides en avril 1927 et est transféré aux ateliers de la CIWL à Saint-Denis, où il est réparé et entièrement restauré. Pendant ce temps, la construction d’un abri pour protéger le wagon est lancée dans la clairière de Rethondes. L’aménagement du site se poursuit avec l’érection d’une statue du maréchal Foch. Le 11 novembre 1927, l’abri-mémorial contenant le célèbre wagon est inauguré en présence du maréchal Foch. La clairière et son wagon deviennent rapidement un lieu de pèlerinage, attirant jusqu’à 191 000 visiteurs en 1938. Mais en 1940, face à la menace de l’invasion, le colonel Codevelle, conservateur du site, décide de mettre les objets contenus dans le wagon à l’abri. Ils sont ainsi précieusement dissimulés dans les combles de la mairie de Compiègne, en vue de les protéger des ravages de la guerre qui se profile.

La voiture quitte les invalides en 1927 (fonds La Vie du Rail)

Compiègne, voiture de l'Armistice (fonds La Vie du Rail)

L'abri de la voiture 2419 à Rethondes (fonds La Vie du Rail)

La statue du maréchal Foch au Mémorial de Compiègne (fonds La Vie du Rail)

L’Armistice de 1940

L’Histoire se répète, mais cette fois, c’est la France qui est contrainte de signer un Armistice, le 22 juin 1940. Dans un geste symbolique d’humiliation, le chancelier Adolf Hitler choisit d’imposer cet acte dans le wagon 2419 D.

  • Le 20 juin 1940, les forces allemandes démontent le fronton de l’abri-musée à grand renfort d’explosifs pour dégager le wagon, qu’elles replacent au centre de la clairière de Rethondes, précisément à l’endroit où avait eu lieu la signature historique.
  • Le 21 juin, Adolf Hitler reçoit la délégation française dans la clairière et fait lire les conditions d’Armistice.
  • Le 22 juin, il monte dans le wagon pour assister à la signature officielle des conditions d’Armistice par la France. À 19h00, la délégation française quitte la clairière. Il ordonne ensuite le transfert du wagon et des monuments de la clairière en Allemagne, tout en donnant l’ordre de raser le site. La statue du maréchal Foch est la seule structure épargnée et soigneusement protégée lors de la démolition de l’abri-musée.
  • Le 24 juin, le wagon est chargé sur une remorque et transporté jusqu’à Berlin, où il est exposé comme un trophée.

Adolf Hitler et son Etat-major devant le wagon de l'Armistice (22 juin 1940, fonds La Vie du Rail)

Adolf Hitler pénètre dans la voiture (fonds La Vie du Rail)

Le Général Huntziger, chef de la délégation française se présente à la portière de la voiture (fonds La Vie du Rail)

Victime des combats en Allemagne en 1945

Exposé un temps au Lustgarten de Berlin, où il attire de nombreux visiteurs, le wagon est ensuite remisé sur une voie de triage de la gare de Berlin Anhalt, à l’est de la ville, où il reste jusqu’en 1944. En décembre de cette même année, alors que le cours de la guerre tourne défavorablement pour l’Allemagne, Adolf Hitler décide de déplacer à nouveau le wagon, cette fois à Crawinkel, en Thuringe, où il établit un nouveau quartier général. Contrairement à une légende répandue qui prétend qu’il aurait ordonné sa destruction, le wagon est en réalité détruit par un incendie provoqué par les bombardements américains d’avril 1945. Le feu, déclenché par l’embrasement d’un bâtiment voisin, atteint accidentellement la gare où le wagon est stationné. L’incendie réduit en cendres toutes les parties en bois du wagon, ne laissant que le châssis métallique. Ce dernier sera réutilisé comme fardier dans une usine de fabrication de matériel ferroviaire en ex-RDA pendant trois décennies.

Les monuments de la clairière de Rethondes, eux, sont retrouvés par les troupes russes et rapatriés en France en 1945.

Remorquée par un puissant tracteur, la voiture 2419 se dirige vers Berlin (fonds La Vie du Rail)

A Berlin, la foule se presse pour visiter la voiture (fonds La Vie du Rail)

Après la Libération

En 1950, dans le cadre de la restauration de la clairière de Rethondes, il est décidé de réinstaller un wagon symbolisant l’Armistice de 1918. La Compagnie Internationale des Wagons-Lits met alors à disposition le wagon-restaurant 2439 D, de la même série que le wagon original détruit en 1945. Acheminé par remorque, il est réinstallé dans l’abri reconstruit, dont la façade a été refaite dans un style plus sobre, tel qu’on peut la voir aujourd’hui. À l’intérieur, le wagon est soigneusement reconstitué avec des bureaux, des écritoires et des téléphones d’époque, ainsi que des objets originaux préservés par le conservateur en 1940. Des vestiges du wagon original, comme deux rampes de cuivre calcinées et un écusson, récupérés dans les années 1990, sont également exposés. Pour reproduire fidèlement le site, les anciens épis de voies ont été symbolisés par des rails de tramway, et les dalles commémoratives ont été reconstruites. Le site rénové accueille de nombreux visiteurs, dont certaines personnalités qui viennent signer le livre d’or inauguré par le Maréchal Foch en 1927.