La réception de la première locomotive 141 R commandée aux Etats-Unis

Photographie du New York Times

La locomotive 141 R est une locomotive à vapeur, construite aux Etats-Unis, pour les chemins de fer français et utilisée en France de 1945 à 1974.

Le contexte

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le déficit en locomotives et l’incapacité de l’industrie française, alors en cours de reconstruction, à livrer rapidement un grand nombre de machines neuves, imposa diverses commandes aux constructeurs américains et canadiens.
C’est la firme « Baldwin Locomotive Works », qui, dans l’urgence de l’époque, dessina les plans de ces machines, en modifiant, pour le réseau français, une locomotive qui circulait déjà depuis plusieurs années aux Etats-Unis : la Mikado USRA, modèle léger. Ce choix technologique qui bousculait le conservatisme industriel ferroviaire français de l’époque, allait se révéler judicieux.

C’est ainsi qu’une commande de 700 locomotives, tous services, fut passée, dès février 1944, pour constituer la première tranche : les 141 R 1 à 700. Une fois le financement rendu possible, une seconde tranche – les 141 R 701 à 1340 – fut commandée auprès des mêmes firmes, secondées par des constructeurs canadiens. Ces machines étaient alors majoritairement prévues pour être chauffées au fuel et non au charbon comme les précédentes. Les 604 machines au fuel assurèrent un meilleur service et furent de ce fait plus sollicitées que celles au charbon. Le fuel permettait des économies de charbon, même si, dans de nombreux dépôts, il s’agissait d’une véritable révolution. Leur financement s’est fait dans le cadre de la loi Prêt-Bail de 1941.

Dix-sept locomotives (les 141 R 1220 à 1235 et la 141 R 1241) disparurent en mer lors du naufrage du navire norvégien Belpamela, le 11 avril 1947, pris dans une violente tempête au large de Terre-Neuve. De ce fait, sur les 1340 locomotives commandées initialement, seulement 1323 entrèrent en service sur le réseau français.

0068LM0017-001 CNAH SARDO. Photographie du New York Times

La réception de la première locomotive à Marseille, le 16 novembre 1945

La première locomotive, la 141 R 1 construite par Lima, sortit des ateliers le 30 juillet 1945. La 141 R 466 fut la première à être débarquée en France le 16 novembre 1945, au port de Marseille.

Une réception placée sous le signe de l’amitié franco-américaine fut organisée pour l’occasion. Un train spécial partit de Paris, le 15 novembre 1945. Diverses activités furent organisées comme la visite en vedettes du port aux personnalités anglo-américaines et françaises invitées à cette manifestation.

0068LM0017-001 CNAH SARDO. Photographie du New York Times

Quelques documents extraits de nos fonds d’archives historiques

En cliquant sur les liens, vous accéderez aux archives numérisées.

Le mémento de la réunion qui s’est tenue le 24 octobre 1945, à Marseille, détaille les événements prévus pour la cérémonie d’inauguration. Il évoque les noms des personnalités conviées, à la fois américaines et françaises, ainsi que les activités prévues dans le cadre de la réception de la première locomotive, le 16 novembre.  Nous y apprenons qu’un train spécial fut mis en place pour amener les invités de Paris à Marseille puis qu’une visite du port en vedettes fut programmée. Le document donne également les consignes pour la décoration de la machine, des quais, hangars, etc. et pour l’envoi des invitations aux convives.

 

Cette note donne le détail de l’organisation du voyage en train spécial : composition des voitures, accompagnement, horaires, ravitaillement, nettoyage des voitures, etc.

 

Le 16 novembre, jour de la cérémonie, Monsieur Goursat rappelle le contexte de la commande de ces locomotives destinées à renforcer le parc français par l’ajout de machines puissantes de type Mikado à 4 essieux couplés :

« Au nom de la Société nationale des Chemins de fer français, j’ai ici la très agréable tâche d’exprimer la satisfaction que le chemin de fer français éprouve à voir commencer l’importante livraison de 700 locomotives qui ont été commandées par le gouvernement français aux Etats-Unis. C’est dans les premiers mois de 1944, avant même que le débarquement des armées alliées en France ait eu lieu, que le gouvernement provisoire de la République française, alors installée à Alger, a préparé un programme de commande de matériel de chemins de fer pour la France […]. 

 

M. Goursat remercie ensuite tout ceux qui, aux Etats-Unis et en France, ont pris part aux négociations et aux études nécessaires à la réalisation d’une livraison aussi importante :

« Nous remercions en sa personne le War Department des Etats-Unis qui a donné, en pleine guerre, et bien avant la défaite des armées allemandes, son accord à la construction de ces machines aux conditions de la loi Prêt-bail »

 

Il rappelle enfin les caractéristiques de ces nouvelles machines dont les dispositions diverses sont spécifiquement américaines. Toutefois, en observant les règles de la technique américaine, les constructeurs ont eu à satisfaire un programme établi par la France et à tenir compte des dispositions propres aux locomotives françaises, comme la conduite à gauche, les coussinets d’essieux revêtus de métal antifrictions, le graissage à l’huile, etc. Selon M. Goursat :

« On peut donc dire que ces machines résultent de l’union des techniques françaises et américaines et qu’elles sont véritablement des machines franco-américaines »

 

Pour cet événement, le Colonel Stoddard représente le Major-Général Frank S. Ross, chef suprême des Services des transports de l’Armée américaine. Il évoque dans son discours le soutien de son pays et  la fierté ressentie face aux progrès réalisés par la SNCF, en tant que « frères du rail ». La réception de ces locomotives constitue un autre lien dans les relations entre alliés.

« La SNCF s’est montrée extrêmement prévoyante en demandant au Gouvernement provisoire de la République, il y a quelque 18 mois, de passer commandes pour ces 700 machines auprès des meilleurs fabricants de locomotives; en agissant ainsi, la SNCF récolte le fruit et le bénéfice de ses prévisions et de ses efforts. C’est pour nous, cheminots américains, le plus grand des plaisirs de noter la rapidité et la totalité des efforts sans répit faits pour la restauration de ses voies ferrées, pour leur rendre leur efficacité et leur pouvoir de transport d’avant-guerre »

 

Les photographies ont toutes été réalisées par le reporter du New York Times, lors de la célébration. Quelques unes furent envoyées aux invités.

0068LM0017-001 CNAH SARDO. Photographie du New York Times

C’est le 19 octobre 1975 que circula la dernière 141 R encore en service à la SNCF, la 141 R 1187 du dépôt de Vénissieux, en assurant un train spécial aller et retour entre Lyon et Veynes. Neuf machines de cette série emblématique sont aujourd’hui préservées en France (dont cinq protégées au titre des monuments historiques) et en Suisse.