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La profession de cheminot a été aiguillée, dès l’origine, vers la solidarité, parce qu’elle fournissait à cette vertu sociale deux éléments essentiels : de gros bataillons et un métier itinérant ; pour susciter et alimenter l’esprit de solidarité, il faut, en effet, se promener — et se promener nombreux — dans un même champ d’action. Tel est bien le cas des cheminots, et non pas seulement des ambulants, car les sédentaires sont appelés également, sous l’effet de ce qu’on appelle les nécessités ou l’intérêt du service, à changer de gare, de dépôt, de district, etc. tout autant que les militaires de garnison.
La cohésion intérieure de la corporation est également attribuable à la dépendance étroite et permanente de toutes les fonctions et de tous les grades …
Louis Armand, Propos ferroviaires, 1970
Les problèmes de sécurité des voies ferrées se posent dès le début de la création des chemins de fer. Au cœur de ces problématiques, c’est évidemment celle du matériel qui est en jeu, il fait l’objet d’une surveillance et d’un marquage nécessaire à la garantie de la sécurité des voies. Cette traçabilité s’étend à des outils en apparence anodins, mais qui font partie du patrimoine ferroviaire, et qu’il est important de valoriser. Parmi ces objets, nous vous présentons aujourd’hui le clou de traverse.
Les clous de marquage de traverses sont plantés sur les traverses des chemins de fer, le plus souvent entre les entailles prévues pour les rails, mais aussi parfois sur le flanc de l’une de leurs extrémités. Par simple inspection, le clou révèle la date de traitement de la traverse, le fabricant, les conditions de fabrication, la largeur de sabotage, la nature du bois utilisé et d’autres aspects techniques spécifiques : l’identité de la traverse, en somme.
Communément, 2 ou 3 clous se trouvent sur une traverse bois, indiquant :
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Les clous indiquant la date permettent de différencier les clous du XIXe siècle, forgés, de ceux du XXe siècle.
Outre les clous standards, les crampons trois pics et les clous emboutis carrés à quatre pics sont également employés.
Mais d’autres indications peuvent figurer. Par exemple, l’origine des bois (ayant une incidence sur le traitement) ou le traitement en lui-même, peuvent être signalés via des clous. Par exemple :
N : traverses en chêne du Nord.
AN : hêtre abattu normalement en période hors sève.
AS : hêtre abattu en sève, rendant l’exploitation en altitude impossible durant l’hiver.
F : traverses fluorées.
SC : traverses en pin du P.O.-Midi imprégnées au sulfate de cuivre, puis trempées dans la créosote.
COB : protection aux sels Cobr.
Numéro : 97865
Titre-légende : traverses en bois
Mention obligatoire : SNCF Optim’services – SARDO – MEDIATHEQUE / PATRICK LEVEQUE
Date de prise de vue : 20 octobre 2004
Historiquement, les compagnies ferroviaires disposaient d’un ou plusieurs ateliers spécialement consacrés au traitement des traverses. Ces ateliers étaient situés à Steinbourg pour l’Alsace-Lorraine, à Port d’Atelier et Amagne-Luquy pour l’Est, à Villers-Cotterêts et Moulin-Neuf pour le Nord, à Surdon pour l’État, à Bretenoux pour le P.O., à Labouheyre pour le Midi, ainsi qu’à Lyon-Perrache et Collonge pour le P.L.M. Par la suite, la SNCF a réduit son nombre de sites à seulement trois : Surdon, Port-d’Atelier et Biars-sur-Cère/Bretenoux. Actuellement, l’atelier de Biars-sur-Cère/Bretenoux est le dernier en France à avoir maintenu son activité.
Stocks de traverses en bois à l’atelier usine de Surdon
Tableau des outils réservés à tamponner les traverses au dépôt de Rennes
Bourrage des traverses
Frettage de traverses en voie courante
Frettage des traverses, procédé ” Cyclop “
Tunnel de créosotage de Surdon, situé entre la commune de Macé et du Château d’Almenèches (dans l’Orne)
Les Coltineurs : les Veilleurs des traverses
Mais bien plus que l’outil au cœur de l’infrastructure ferroviaire, ce sont les ouvriers spécialisés dans la manutention des traverses qui ont joué un rôle essentiel, bien que méconnu.
Ces travailleurs, appelés coltineurs, étaient chargés de la maintenance quotidienne pour assurer la stabilité et la sécurité des voies ferrées.
Chaque jour, les coltineurs prenaient en charge le chargement et le déchargement de dizaines de traverses, chacune pesant en moyenne 80 kilogrammes. Travaillant sans machines modernes, ils utilisaient des outils rudimentaires, mobilisant principalement leur force physique et leur endurance. Leur environnement de travail, en extérieur principalement, était donc marqué par des conditions parfois dangereuses, notamment en raison de l’exposition à des substances nocives comme la créosote, utilisée pour imprégner les traverses en bois.
Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que les conditions de travail ont commencé à s’améliorer, grâce à l’introduction d’équipements de manutention mécanisés, limitant le labeur et les risques de santé pour les coltineurs.
C’est à la fois ce petit objet, et ce travail jusque-là méconnu de ces hommes et femmes qui a contribué à façonner le paysage ferroviaire et à assurer la sécurité de millions de passagers. Leur héritage perdure dans chaque voyage en train que nous faisons, rappelant l’importance des coltineurs dans l’histoire du transport ferroviaire.
*Bourrage de traverses : l’opération de bourrage est effectuée dans deux situations ; et pendant cette opération, le dressage, c’est-à-dire la correction de l’alignement ou de la courbe, est effectué :
**Frettage des traverses : les frettes sont des cerclages métalliques qui enserrent les traverses à leurs extrémités pour empêcher le bois d’éclater.
*** Créosotage des traverses : la créosote a longtemps été massivement utilisée en France et en Europe comme traitement de conservation des bois. La compagnie des chemins de fer de l’Est débute cet usage en 1865.