De l’Express d’Orient à l’Orient Express, les origines d’un train mythique

Voyager en train sur les lignes d’Europe et au-delà, dans un confort digne des plus grands palaces, tel est le rêve d’un jeune ingénieur belge, au milieu du 19ème siècle, devenu un mythe mondial.

Du rêve à la réalité

Le jeune ingénieur belge, Georges Nagelmackers, effectue un voyage de plusieurs mois aux États-Unis, en 1867, où il découvre les wagons-lits conçus par l’industriel George Pullman, technologiquement en avance sur les matériels du vieux continent. A cette même occasion, Nagelmackers observe les aménagements des luxueux paquebots transatlantiques qu’il empreinte. Dès son retour en Europe, il porte l’idée de créer des trains de nuit de luxe à destination d’une clientèle aisée. Mais cela est un vrai défi devant les multiples barrières qui se dressent, tant diplomatiques – selon les tensions entre les États pour traverser les frontières – que techniques avec des normes ferroviaires variables selon les pays. Y croyant fermement, Georges Nagelmackers entame, dès lors, de nombreuses négociations et tractations qui seront interrompues par la guerre franco-allemande de 1870.

Avec le soutien du souverain de Belgique Léopold II, il fonde en octobre 1872 une première société dénommée « Georges Nagelmackers et Cie ». En quête de nouveaux moyens de financement, Nagelmackers fait la rencontre à Londres du colonel américain William d’Alton Mann, inventeur d’un brevet de wagon-lit à couloir latéral équipé de compartiments. Les deux hommes s’associent pour fonder en janvier 1873 la société « Mann’s Railway Sleeping Car Company » dont Nagelmackers rachètera les parts dès août 1875.

Wagon-lit mis au point par la société Mann’s Railway Sleeping Car Company (1874)

Peu à peu, grâce à des conventions signées avec les compagnies ferroviaires nationales, Georges Nagelmackers parvient à faire circuler ses premiers wagons-lits dans des trains aux destinations internationales.
En ce sens, une convention provisoire est signée avec la Compagnie des Chemins de fer de l’Est,  le 17 février 1873, pour la mise en circulation de wagons-lits (système Nagelmackers) dans des trains de Paris à Avricourt, destination Strasbourg et de Paris à Pagny Sur Moselle, destination Francfort.
L’ordre de service n°68 de la Compagnie des Chemins de fer de l’Est, en date du 14 juillet 1873, convient de la mise en circulation de voitures à lits nouveau modèle dans deux trains postes (n°39 et 42) de la ligne Paris à Avricourt. Nous vous invitons à découvrir ce document original issu de nos fonds d’archives historiques.

Mais rapidement l’entreprise connaît des difficultés financières et Georges Nagelmackers perd le soutien des banques. Le 4 décembre 1876, il fonde alors à Bruxelles la célèbre « Compagnie internationale des wagons-lits » qui deviendra en 1884 la « Compagnie internationale des wagons-lits et des grands express européens », un nom en lien avec le développement de son activité.
De nouvelles conventions sont établies avec les Compagnies ferroviaires pour la mise en circulation de wagons-lits dans les trains circulant entre le réseau de l’Est, l’Allemagne et l’Autriche.
A titre d’exemple, nous vous proposons de découvrir ici l’ordre de service n°188 du 1er avril 1878 de la Compagnie des Chemins de fer de l’Est qui vient nous préciser les conditions de visite spéciale et de révision de ces wagons-lits de « la Société internationale des wagons-lits », nouvellement créée, et circulant entre Paris et Vienne et Paris et Francfort.

La jeune Compagnie internationale des wagons-lits lance, les 10 et 13 octobre 1882, un aller-retour Paris-Vienne en train de nuit de luxe, baptisé « Train Éclair Paris-Vienne », et composé de quatre voitures-lits, d’une voiture-restaurant et de deux fourgons. Le train relie les deux capitales en 27h53 min et constitue le tout premier train que la Compagnie affrète intégralement. Cette relation fait l’objet d’une convention signée entre la Compagnie internationale des wagons-lits et les différentes compagnies ferroviaires traversées.

Nous vous proposons de découvrir, ci-dessous, un exemplaire original du traité, provenant de la Cie des Chemins de fer de l’Est, issu de nos fonds historiques.

Les premiers tours de roue de l’Express d’Orient 1883

Devant le succès du train Paris-Vienne, Georges Nagelmackers a l’idée de prolonger le trajet vers Constantinople, capitale de l’Empire ottoman, qui fascine toujours autant. L’année 1883 marquera le début de cette grande histoire et de ce tour de force à la fois diplomatique et technique, fruit de nombreuses tractations pour aboutir à la signature d’un traité, véritable acte de naissance d’un train qui s’appelait alors « l’Express d’Orient ».
Le traité de mars 1883, qui établit les engagements de l’ensemble des réseaux signataires et de la Compagnie internationale des wagons-lits, vous est présenté ici. Il établit l’organisation d’un train rapide particulier entre Paris et Giurgevo en Roumanie, ville située sur les rives du Danube face à la Bulgarie. Ce train est alors dénommé : « Train Express d’Orient ». Il est intéressant de se reporter à son article 12 qui précise que : « cette convention n’entrera en vigueur que quand les trains « Express d’Orient » seront assurés d’une correspondance directe et convenable ».

Le 5 juin 1883 à 19h30, le premier départ du train « Express d’Orient » a lieu de la gare de Strasbourg à Paris (actuelle gare de l’Est) à destination de Constantinople. Selon les sources de l’époques, les passagers étaient tous masculins et avaient reçu, par précaution, la recommandation du port d’une arme à feu.
Après cette première mise en service, il faudra attendre l’automne pour assister à l’inauguration officielle du train « Express d’Orient » qui aura lieu le 4 octobre 1883, il y a aujourd’hui 140 ans.
Journalistes, artistes et personnalités du monde politique et ferroviaire se pressent alors sur les quais pour assister au départ de ce voyage inaugural auquel sont conviés vingt-quatre passagers, dont deux femmes. L’on y trouve le directeur et fondateur de la Compagnie des wagons-lits, Georges Nagelmackers, ainsi que des membres de celle-ci, des hommes politiques et des hauts fonctionnaires français et belges, des représentants des grandes Compagnies de chemin de fer français, des journalistes français et étrangers.
Avec l’Express d’Orient, le trajet entre Paris à Constantinople ne prend alors que quatre jours. Un vrai bouleversement puisque la liaison maritime de Marseille à Constantinople en nécessitait une quinzaine à l’époque. Un événement rapporté avec enthousiasme par la presse.
Pourtant en 1883, le trajet jusqu’à Constantinople n’est pas encore direct. En effet, le train traversait l’Europe de Paris à Nancy, Strasbourg, Stuttgart, Munich, Vienne, Budapest et Bucarest d’où il rejoignait les rives du Danube et son premier terminus, Giurgevo.
Faute d’avoir obtenu une concession pour franchir le Danube, les voyageurs devaient prendre un bac pour traverser le fleuve entre Giurgevo et Russé en Bulgarie. De là, ils empruntaient un train spécial à destination du port bulgare de Varna, sur la mer Noire où un navire à vapeur, l’Espero les conduit en une quinzaine d’heures de navigation jusqu’au Bosphore et à la capitale de l’Empire ottoman, Constantinople.
L’un des journalistes qui faisait partie du voyage, raconte qu’entre Budapest et Timisoara, « un orchestre tzigane bondit dans la salle à manger et entraîna les passagers dans une valse endiablée ». Ainsi, ce train, qui rend l’Orient accessible, ouvre aussi les portes du rêve et de l’imagination.
Pour ce voyage inaugural, l’Express d’Orient fera le trajet aller et retour de Paris à Constantinople en moins de deux semaines. Parti le 4 octobre 1883 à 19h30 de Paris et à l’arrêt pendant cinq jours en gare de Giurgevo, il est de retour le 16 octobre à 6h, après un parcours de 3.094 km par trajet.

Itinéraire de 1883_La Vie du Rail

Itinéraire de 1883, source La Vie du Rail

En 1885, le service devient quotidien entre Paris et Vienne (cf. article n°1er de l’Annexe de 1885 : « Le train Express d’Orient devra, lors de l’inauguration du service d’été 1885, être mis en marche tous les jours, jusqu’à nouvelle ordre, entre Paris et Vienne dans chaque sens »).

Cette même année 1885, une nouvelle voie ferrée est ouverte de Budapest à Constantinople via Belgrade et Sofia, mais les passagers doivent encore prendre une diligence entre la ville serbe de Niš et la ville bulgare de Plovdiv.
En 1889, année de l’inauguration de la tour Eiffel pour l’Exposition universelle de Paris, l’achèvement, le 1er juin, du dernier tronçon de la ligne permet à la liaison d’être intégralement effectuée en train.
Le trajet direct s’établit alors en soixante-sept heures et quarante-six minutes jusqu’à Constantinople, via Munich, Vienne, Budapest, Belgrade, Sofia et Bucarest, des berges de la Seine aux rives du Bosphore, de la France du président Sadi Carnot à l’Empire ottoman du sultan Abdülhamid II.

En 1891, l’Express d’Orient devint officiellement l’Orient-Express. Pour autant, il continue à être désigné sous son appellation initiale dans la version française du nouveau traité conclu en 1899 entre les douze administrations nationales des chemins de fer concernées et la Compagnie internationale des wagons-lits.
À cette époque, les passagers sont libérés des contraintes administratives, la Compagnie s’occupant de présenter les passeports à chaque passage de frontière.
L’Orient-Express est également un chef-d’œuvre de décoration à tous les niveaux (marqueterie, maroquinerie, tapisserie, argenterie, vaisselle, etc.), apportant luxe, calme et volupté. Le train devient un moyen de communication majeur vers l’Orient et accueille une clientèle fortunée mais variée. Le gotha et les célébrités de l’époque croisent dans la voiture-bar des demi-mondaines en quête de bonne fortune, de riches marchands et même des espions en mission.
Mais tout ce luxe va faire des envieux et, en 1891, des bandits de grands chemins se livrent à une attaque en règle du train et repartent avec un butin de 120.000 livres sterling dérobés aux passagers.
L’année suivante, le train est mis en quarantaine en raison d’une épidémie de choléra survenue à bord.
Cette dimension dramaturgique de ce microcosme roulant, respectant la règle des trois unités de lieu, de temps et d’action, n’échappera pas aux romanciers et aux cinéastes qui s’inspireront de ce cadre unique.

Georges Nagelsmackers a réalisé son rêve, unir l’Occident et l’Orient en train, mais il veut aller encore plus loin. En 1894, sa compagnie ouvre plusieurs hôtels de luxe dans les principales étapes de la ligne, dont le Pera Palace, à Constantinople, édifié en 1892 pour accueillir les voyageurs descendus du luxueux train.